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30 mars 2022

Pesticides : des lobbys que la guerre en Ukraine arrange ?

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Un entretien avec Maureen Jorand

Responsable du plaidoyer « souveraineté alimentaire et climat » auprès de l’ONG française CCFD Terre Solidaire, Maureen Jorand suit de près le dossier des pesticides. Interview.

Comment la guerre en Ukraine remet-elle en question les projets de réduction d’utilisation des pesticides ?

Avec le CCFD nous avons participé à une mobilisation où plus d’un million de citoyens soutenus par des ONG ont appelé à une sortie des pesticides. Dans le cadre de la discussion de la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette » nous avons obtenu une perspective de réduction de 50% de l’usage. C’était un premier pas, insuffisant, mais qui allait dans le bon sens. Ce qui se passe en ce moment concerne la discussion d’une directive, la directive SUD sur l’utilisation durable des pesticides, qui devrait normalement s’aligner avec la stratégie « De la ferme à la fourchette ». Mais certains groupes de pression essayent de s’emparer du contexte de la guerre en Ukraine pour réduire les ambitions de cette directive. L’objectif de réduction de 50% est ainsi remis en cause.

Quels sont ces groupes de pression ?

Au niveau français il s’agit de l’UIPP, l’Union des industries de la protection des plantes, qui représente 19 entreprises, parmi lesquelles Bayer, BASF ou Syngenta. On retrouve les mêmes aux niveaux européens et internationaux, notamment au sein de CropLife International, qui est l’émanation internationale de ces lobbys. Pour agir, ils disposent de différents moyens, de la lettre envoyée aux décideurs politiques – qu’ils soient parlementaires, membres de la commission ou d’un gouvernement – aux diners, aux rendez-vous, aux conférences, aux études scientifiques sponsorisées qu’ils publient en les prétendant neutres. On soupçonne également certains partenariats avec des médias qui publient des articles avec un angle très affirmé. Au CCFD nous avons enquêté et découvert que les multinationales des pesticides ont dépensé jusqu’à 10 millions d’euros pour leurs activités de lobbying. Et il ne s’agit peut-être que de la pointe visible de l’iceberg.

Quels sont les rôles d’acteurs tels que l’Inde et la Chine dans le domaine des pesticides ?

A partir du début des années 2000, certains brevets sont tombés dans le domaine public, ouvrant la voie au marché des génériques des pesticides. Des industriels, en particulier en Inde et en Chine, ont investi ce marché. La géopolitique du secteur a évolué. Auparavant, quatre multinationales européennes et américaines se partageaient le domaine. L’une d’entre-elles Syngenta, a été rachetée par l’Etat chinois. Mais on a aussi vu émerger d’autres acteurs, qui ne sont pas assujettis aux réglementations européennes. Il faudrait une réglementation internationale qui permettrait une mise à niveau de l’ensemble des normes.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une mesure miroir appliquée aux pesticides ?

En France, c’est une mesure défendue par les ONG et les syndicats agricoles. L’idée est que si on interdit des pesticides en Europe, on ne peut pas importer des produits agricoles et alimentaires qui ont été cultivés ailleurs en utilisant ces pesticides interdits. C’est cohérent, mais cela implique également de ne plus permettre l’exportation de ce type de pesticides depuis l’Europe. En France, le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, se limite à revendiquer les mesures miroir sans les restrictions à l’export, ce qui est contradictoire. Il faut traiter les deux versants du problème. La Commission européenne doit prendre des mesures interdisant l’export des pesticides interdits en complément des mesures miroir sur leur réimportation en Europe.

Propos recueillis par Pierre Coopman

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