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28 mai 2025

Une lueur d’espoir : les infatigables paysannes de Lukula contre les accaparements de terres

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Il y a trois ans, nous célébrions une grande victoire politique des femmes de Lukula, dans la province du Kongo Central : l’obtention de 1000 hectares de terres inexploitées ! Mais depuis 2024, l’entreprise Agro Transformation Afrique (ATA) s’est mise à exploiter illégalement une partie de ces terres. Les paysannes ripostent donc : avec le soutien de l’APROFEL (l’Association pour la promotion de la femme de Lukula), elles se mobilisent en masse et parviennent à nouveau à faire valoir leurs droits !

Les terres africaines : un objet de convoitise

Les accaparements de terres sont un phénomène trop fréquent en Afrique. D’après la Banque Mondiale, entre les années 2000 et 2010, environ 31 millions d’hectares de terres agricoles africaines ont fait l’objet d’accaparements et depuis 2019, 27% des accords internationaux d’accaparements concernent ce continent. Le scénario classique est le suivant : de puissantes entreprises acquièrent et exploitent des terres paysannes de façon illégale ou avec l’accord des états, dans le but d’exporter leurs productions. Ce qui laisse les populations locales privées de leurs moyens de subsistance et porte atteinte à la souveraineté alimentaire des régions concernées. Deux exemples emblématiques : le projet EACOP (East African Crude Oil Pipeline) en Ouganda et Tanzanie, qui menace de déplacer plus de 100.000 personnes et de causer des dégâts considérables sur l’environnement, et les exploitations de la SOCFIN (Société Financière des Caoutchoucs), qui accapare des terres au Libéria pour la production de latex.

Voix du Sud Interviewee Esperance Nzuzi - : Une lueur d’espoir : les infatigables paysannes de Lukula contre les accaparements de terres

Face à cette situation critique, les paysans africains s’organisent. C’est notamment le cas des membres de l’Association pour la Promotion de la Femme de Lukula (APROFEL) en République Démocratique du Congo. Partenaire de Humundi, cette association créée en 1993 a pour but de protéger les droits fonciers des paysannes dans la région de Lukula (Province du Kongo Central). L’association a été fondée par Espérance Nzuzi pour aider les jeunes mères à devenir autonomes et,  aujourd’hui, l’APROFEL mène des combats militants permanents, notamment contre les accaparements de terres.

Récemment, l’association avait réussi à sécuriser 1000 hectares de terres agricoles dans la région de Lemba grâce à un accord avec le gouvernement provincial, qui octoyait aux paysannes locales un droit d’usage pour une période de 10 ans. Mais depuis 2024, ces terres sont exploitées de façon illégale par l’entreprise Agro Transformation Afrique (ATA). On a donc discuté avec Espérance Nzuzi, présidente de l’APROFEL, pour éclairer les dessous de la lutte contre ATA.

L’aprofel et les femmes de Lukula contre l’entreprise ATA

Supporterres : Où en est le combat contre l’exploitation illégale de vos terres par ATA ?

Espérance : Humundi a mis à la disposition de l’APROFEL un juriste qui a pu dénoncer la situation auprès des autorités compétentes. Comme résultat, ATA a été contrainte de quitter la partie basse du terrain, et pour le moment, les femmes membres de l’APROFEL peuvent à nouveau exploiter cette zone-là sans contrainte. Mais malheureusement, l’ATA continue d’exploiter la partie haute du terrain.

Supporterres : Avez-vous dû faire face à des menaces ou des hostilités de la part d’ATA ?

E : Oui, l’ATA a menacé nos membres verbalement. De plus, en labourant les terres qui appartiennent aux membres de l’APROFEL, ATA a causé des dommages importants. Certaines cultures, dont le riz, ont été détruites.

Supporterres : Lors des actions de protestation que vous avez organisées, des femmes qui n’étaient pas des membres de l’APROFEL se sont jointes à la lutte. Comment avez-vous réussi à mobiliser autant de gens ?

E : On a eu recours à la radio, à la télévision et au déploiement de banderoles dans les rues, mais c’est aussi le bouche à oreille qui a fonctionné. Avec la force de toutes ces femmes déterminées à récupérer leurs terres, on a pu bloquer la route pour exposer la situation au ministre provincial des Infrastructures, Travaux Publiques et Reconstruction qui était en visite dans la région avec son cortège. Toutes les femmes déléguées des territoires de Lukula, Tshela et Seke- Banza et de la ville de Boma étaient présentes. Le cortège du ministre a dû s’arrêter et écouter les paysannes. Grâce à cela, notre dossier a été porté devant le conseil provincial des ministres et traité par celui-ci.

Supporterres : Voyez-vous une évolution dans l’engagement des hommes pour la défense des droits fonciers des femmes depuis la création de l’APROFEL ?

E : On voit une amélioration à ce niveau-là. Dans toutes les démarches, les hommes accompagnent les femmes : plaidoyer, sensibilisation et mobilisation. Mais il faut davantage d’implication des autorités politiques et administratives, et intensifier la sensibilisation sur les questions d’inégalités de genre.

Supporterres : Est-ce que vos succès à Lukula encouragent les populations d’autres territoires de la République Démocratique du Congo à se mobiliser davantage ? Y a-t-il des exemples d’initiatives similaires dans d’autres régions ?

E : Il y a en effet d’autres associations de femmes paysannes, comme LOFEPACO dans le Kivu Nord ou RENAFER à Kinshasa, qui agissent à un niveau national sous l’impulsion d’ONU Femme, l’entité des Nations unies consacrée à l’autonomisation des femmes. Par ailleurs, l’APROFEL a fondé une coopérative semencière (la SCOOPSEMA-CA) qui regroupe les femmes non seulement de Lukula, mais aussi de Tshela, Seke-Banza et Boma. Dans ces territoires, les femmes commencent dès lors à s’impliquer massivement dans les activités de l’APROFEL pour l’autonomisation économique de la femme et la promotion de l’agriculture familiale dans le Kongo Central. Une mobilisation qui a clairement de quoi redonner espoir dans l’avenir !

Rédaction : Elena Chaves Rodriguez (Volontaire chez Humundi)

Supporterres n°32